EXACTIONS FRANCHESSOISES DURANT LA GRANDE TERREUR
Les procès-verbaux consignés sur les registres municipaux sont d'un point de vue sociologique " très parlants". Deux en particulier retiennent mon attention ; l'un traite de la déclaration de grossesse d'une pauvre domestique et l'autre , plus léger , ( si l'on fait abstraction de la grande misère qui règne à cette époque ) fait état d'une enquête sur un vol de fruits dans le bourg de Franchesse .
Les déclarations de grossesse pendant la Révolution
Par peur des infanticides , toutes les femmes " porteuses de fruits illégitimes " avaient obligation de déclarer aux autorités compétentes leur grossesse . Cette loi bien antérieure à la période révolutionnaire fut attestée par l'édit d'Henri II au milieu du XVIe siècle.
C'est ainsi que Jeanne , malheureuse parturiente , abusée par son maître , dont on devine aisément le poids de la honte sur ses épaules , doit en plus subir l'humiliation d'une déclaration de " son état " à la maison commune de Franchesse. Edifiant .
Nous sommes le 30 juin 1793 :
" Aujourd'hui trentième jour de juin mil sept cent quatre vingt treize , l'an deuxième de la République française , par-devant nous Jacques Saulnier , maire , Marc-Antoine Madet , officier municipal et Pierre-Bonaventure Béraud , procureur de la commune a comparu Jeanne Blanc , domestique , fille majeure de vingt-six ans , demeurante au domaine des Maris commune dudit Franchesse , laquelle , pour satisfaire à la loi , a déclaré être enceinte des œuvres de Claude Flouzat , fermier , demeurant au dit domaine des Maris , son maître , depuis environ trois mois , que ledit citoyen Flouzat , un soir à son arrivée de Franchesse , se jeta brutalement sur la déclarante qui était pour attendre son retour au coin du feu , la prit dans ses bras et la mit sur son lit , gisant près la cheminée et en jouit forcément , malgré les cris qui ont été entendus par le nommé Pierre Bernard , domestique qui était couché dans la chambre voisine , ainsi que les enfants dudit Flouzat et que la fille de ce dernier lui en fit des reproches . Laquelle déclaration elle a affirmé être sincère et véritable et nous a requis acte de sa comparution et déclaration et a déclaré ne savoir signer .Fait en la maison commune les jour et an que dessus et avons signé .
Béraud , Saulnier , maire , Madet , Moitié , secrétaire-greffier .
Les femmes les plus exposées,bien souvent des domestiques de ferme devaient subir les assiduités de leur maître et se taire . Les malheureuses n'avaient aucun moyen de défense , tenaillées par la peur d'être mises à la rue . Tout au plus espéraient elles par cette déclaration , une reconnaissance de l'enfant , ou la garantie que ce dernier serait bien nourri et logé . La perpétration de ces nombreux viols , sont tout sauf anecdotiques et bénéficient de l'impunité la plus totale .
Le citoyen Flouzat , fermier (donc avec un statut social certain ) était aussi notable*, élu de la commune de Franchesse .On retrouve sa signature au bas de plusieurs procès-verbaux . Je n'ai pas retrouvé de suite à cette " affaire " dans les proces-verbaux ni la trace de Jeanne Blanc et de son enfant dans l'état-civil .
* Pendant la période révolutionnaire , le notable , élu comme les officiers municipaux de la commune par les citoyens actifs ( seul le citoyen actif qui payait l'impôt avait le droit de vote ) , formait avec le maire , le procureur , et le secrétaire-greffier le corps municipal .
Le notable n'était appelé que pour les affaires urgentes .
VOLEURS DE FRUITS !
On retrouve Claude Flouzat en septembre 1794 dans une affaire de vol de fruits chez Pierre Sadde . Nommé commissaire municipal avec Charles Nicolas Moitié le notaire ,Gilbert Thévenet l'ancien curé et un certain Bellot , ils seront chargés des perquisitions dans les maisons du bourg de Franchesse afin de démasquer le ou les voleurs.
Il semblerait qu'à l'époque le délit de vol de poires soit plus grave que l'agression d'une domestique de ferme par son " maître" à en lire l'épaisseur du procès-verbal .Triste époque .
Ainsi le 9 septembre 1794 :
" Aujourd'hui vingt trois fructidor de l'an II de la République française et indivisible et démocratique a comparu Pierre Sadde , propriétaire cultivateur demeurant en la dite commune de Franchesse , lequel a dit que dans la nuit dernière on s'est introduit dans son jardin par un trou fait à la palissade donnant sur la rue des Quatre -Vents à la Poissonnerie en en levant deux planches et où on lui a volé différents fruits à ses espaliers et demande que pareil vol soit réprimé si on connait l'auteur parce qu'il est très important pour la tranquillité de poursuivre les délits qui se commettent journellement dans cette commune ; a demandé acte de sa déclaration et a signé.
Madet Audiat , Sadde."
Le même jour , sont nommés les commissaires d'enquête :
" Nous officiers municipaux , sur les conclusions de l'agent national ( appelé également procureur de la commune ) ,attendu qu'il s'agit de réprimer un abus qui se perpétue journellement et qui met ceux qui ont des fruits dans la plus grande surveillance pour les conserver nommons les personnes de Pierre Thévenet , officier municipal et Charles Nicolas Moitié , Claude Flouzat ( cité plus haut ) et louis Bellot pour adjoints à l'effet de faire la visite la plus scrupuleuse chez les citoyens de ce bourg et constater les fruits que chacun a chez soi et faire entre nos mains le rapport .Fait en séance le vingt trois fructidor de la République française une et indivisible .
Flouzat , Thévenet , Madet , Audiat. "
Toujours le même jour , c'est la perquisition dans le bourg :
" Aujourd'hui vingt trois fructidor de la République française une et indivisible et impérissable ( sic ) ont comparu par devant nous officiers municipaux en la commune de Franchesse Pierre Thévenet ,Claude Flouzat , Louis Bellot et Charles Nicolas Moitié qu'ils , en vertu de l'arrêté de l'autre part ont dit avoir fait la visite domiciliaire ordonnée par icelui en leur âme , loyauté et conscience et qu'ils ont trouvé : chez Pierre Chantenay un cent ou environ de pommes dites Notre-Dame et presqu'autant de poires Cuisse-Dame , chez Jacques Ribaud environ deux boisseaux de poires sauvages , chez le citoyen Moitié trois sacs de poires à la livre , chez Jean Pinot environ un panier de poires sauvages , chez Antoine Peubrier la valeur de deux paniers de poires Bon Chrétien d'hiver , chez Cotonnet un tas de poires de Beurré , un peu de poires Louise-Bonne et des pommes de Ramboud ; chez la veuve Loget des pommes environ trois paniers , chez la veuve Rochon des poires Bâtardes ; chez Pierre Jardillier des poires Caisse-Dame et que c'était tous les fruits qu'ils ont trouvé chez les citoyens chez lesquels ils ont fait des perquisitions et ont signé avec nous .
Signé Moitié , Flouzat , Thévenet , Bellot "
J'ignore si ces perquisitions ont porté leurs fruits ( ! ) mais après cela plus aucune trace n'apparait dans le registre des procès- verbaux.
Alexandre Cornieux