jeudi 22 novembre 2018

VOUS REPRENDREZ BIEN QUELQUES PRUNES MONSIEUR SUCHAL !

Niché dans un écrin de verdure , non loin du bourg de Franchesse , route de Couleuvre , le restaurant Le CHUCHAL , installé dans un ancien corps de ferme restauré avec soin , mérite le détour. On y mange bien et ses hôtes sont charmants. Sa réputation n'est plus à faire et l'auberge reste une adresse incontournable pour qui souhaite passer un excellent moment à table .



La magnifique auberge du Chuchal à la belle saison ( photo du site internet de la commune de Franchesse dans la rubrique Se restaurer )


L'auberge du Chuchal est ainsi appelée en référence à  Chuchal ou Suchal qui en Bourbonnais , du côté de Moulins signifiait gros mangeur , qui mange comme un goinfre.
" Celui là , il mange comme un chuchal ! " écoutait-on pour parler de celui qui avait un appétit démesuré .
Louis Suchal , qui n'aurait pas déplu au F .·. Rabelais et aurait alimenté les chroniques gargantuines , l'ogre de Moulins , à qui l'on doit cette expression avait de l'appétit c'est le moins que l'on puisse dire , nous allons le voir plus loin .
Louis Suchal , voit le jour à Saint-Pourçain , le 14 mai 1775 ; il est le fils de gilbert et de Anne Boutet , le parrain Louis Derouat , fils de Claude Derouat et la marraine Elisabeth Suchal , sa sœur.
Engagé volontaire dans l'Armée du Rhin du général Moreau (1) , dans ses jeunes années , il s'installe , une fois son service quitté ,  à Moulins pour exercer son état de cordonnier .
De ses années de soldat , il avait conservé le bicorne à cocarde et sa vieille redingote qu'il ne quittait jamais. Grand , toujours vêtu de la sorte et d'une maigreur effrayante , M. Suchal ne passait pas inaperçu dans les rues de la préfecture .




(1) Jean Victor Marie Moreau était un général français sous la Révolution , commandant de l'Armée du Rhin, feld-maréchal de Russie et maréchal de France à titre posthume .Son nom est gravé sous l'arche de l'Arc de Triomphe .


Cordonnier de métier donc , Louis Suchal d'après Louis Batissier ( 2 ) " fabriquait très bien les énorme souliers ferrés de nos paysans et les solides escarpins de nos paysannes . Il colportait sa marchandise de foire en foire et faisait d'honnêtes bénéfices . Mais hélas la vue de M. Suchal s'affaiblit et doit renoncer à son métier. Il fit alors un métier analogue à celui auquel on condamne les chevaux aveugles ; il se mit pour subsister avec son épouse ( il était marié à Anne Cotte ) à tourner la roue d'un cordier ou celle d'un coutelier , métier qu'il exerce encore aujourd'hui et qui est son unique gagne pain .
Mais imaginez-vous que le malheureux est affligé d'une affreuse maladie  : il peut ingurgiter du soir au matin , et du matin au soir une effrayante quantité d'aliments crus ou cuits sans être jamais rassasié . C'est à lui qu'on peut appliquer la fameuse définition du sénateur ( et docteur ) Cabanis qui disait que l'homme est un tube ouvert à ses deux bouts  ( sic ).
Tout ce qu'il engouffre ne lui profite guère car il est maigre comme un hareng. N'allez pas croire qu'il a le ver solitaire , c'est tout simplement une maladie que les médecins ont souvent observée .
Il lui est arrivé d'avaler sans s'arrêter un jambon de taille colossale et un diner servi pour 20 personnes ne l'effraie guère . Il avale 8 livres de pain à chaque repas. Mais le malheureux , faute d'argent ne trouve pas toujours à assouvir sa faim , aussi tout lui est bon . On l'a vu se repaître d'animaux morts qu'il ramasse dans les rues et les égouts et ne se donne pas , je vous l'assure la peine de les faire cuire et de les assaisonner avec une sauce ! On fait son bonheur quand on lui donne le résidu des tonneaux après qu'on en a soutiré le vin .En un mot , le rebut de la cave et de la cuisine fait ses délices .
Il est aussi très friand de fruits ,plus ou moins mûrs , peu lui importe .
Un jour , il rencontra , rue de Bourgogne une paysanne qui conduisait au marché un âne chargé de deux paniers remplis de prunes ._ Je voudrais bien manger de vos prunes dit-il à la femme .Pour combien en voulez-vous ? dit la femme ._ Dam ! Je voudrais en manger mon saoul. _ Eh bien donnez moi deux sous et mangez-en tant que le cœur vous en dira , répond la femme qui apparemment ne connaissait pas le bougre ! l'homme paie d'avance et se met à avaler les prunes avec une volubilité telle que la pauvre marchande vit en pâlissant qu'elle venait de faire une sotte affaire !Elle se fâche , elle récrie , on s'attroupe autour d'elle , on jase et on regarde M. Suchal , qui en très peu de temps vida les deux paniers au grand ébahissement de tout le monde .Maintenant il ne peut plus faire de pareils tours : il est trop connu à Moulins et ses environs .Par bonheur pour lui , son formidable appétit a diminué d'intensité .Dans les moments difficiles il se serre le ventre avec une courroie et attend patiemment que quelque bonne mortalité se déclare parmi les animaux domestiques , les étangs ou les basses-cours .Alors il fait de splendides festins qui ne font de tort à personne .Le pauvre diable est fort à plaindre , mais malgré cette voracité maladive , il est en apparente bonne santé et que , tout vieux qu'il est , il n'a nulle envie de mourir . ( 3 ) 










( 2) Louis Batissier (29/06/ 1813 Bourbon l'Archambault -  8/06/1883 Enghien ) . Médecin et archéologue , il fut inspecteur des monuments historiques de l'Allier , chargé de mission en Grèce , Syrie et Asie Mineure et vice consul de France à Suez. Il est l'auteur d'ouvrages sur l'ancien  Bourbonnais et de publications sur ses travaux archéologiques . Il écrit aussi sous le pseudonyme Bernard LEWIS.
Ci dessous , le livre " physiologie du Bourbonnais  de B. LEWIS ( louis Batissier ) écrit en 1842 où l'on trouve l'article consacré à Louis Suchal .







(3) A l'époque où B. Lewis écrit dans " Physiologie du Bourbonnais" l 'article consacré à M.Suchal , en 1842 , ce dernier est toujours en vie.
En effet , Louis Suchal , dit le Chuchal s'éteint chez lui rue Manchet ( actuelle rue de Bourgogne ) à Moulins , le 6 aout 1851 à 7 h du matin . Malade , il ne pouvait plus rien avaler depuis vingt jours . Il avait 76 ans , ( son acte de décès mentionne 78 ans ) , un âge canonique étant donné l'hygiène de vie du pauvre bougre .
Longtemps après sa mort , on se souviendra de M. Suchal du côté de Moulins et de sa campagne avoisinante et de l'expression " manger comme un chuchal " qui d'une certaine façon lui rend hommage .

A.C





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